Il n’y a pas, au niveau humain, de principe antérieur à la famille.
Nous provenons tous d’une famille, nous commençons tous avec un nom de famille, nous avons tous eu une certaine famille pour berceau. La famille est un fondement.
Or, si elle est un fondement, on ne saurait « fonder la famille ». Si elle se situe au principe de nos vies concrètes, il devient impossible de la justifier ou de l’expliquer, parce qu’il faudrait recourir à un principe antérieur, et la famille ne serait plus qu’une réalité secondaire et dérivée, non pas une matrice.
Les théoriciens qui voudraient que la première communauté humaine fût issue d’un contrat passé entre individus asexués et solitaires, déclarent eux-mêmes qu’il s’agit là d’une fiction, d’une hypothèse de travail, et non d’une réalité [1]. Il n’y a pas, au niveau humain, de principe antérieur à la famille. On ne peut donc pas l’expliquer ni la justifier, on peut seulement expliciter sa présence qui nous devance toujours.
Et c’est pourquoi ceux qui attaquent la famille dans son évidence sont si difficiles à contester. Expliquer que l’homme descend du singe est plus facile que d’expliquer qu’un enfant descend d’un homme et d’une femme, parce que dans le premier cas, la thèse réclame effectivement des explications, et même des explications nombreuses, alors que dans le second, il n’y a rien à expliquer, il ne s’agit même pas d’une thèse, mais d’un donné absolument initial, comme l’existence du monde extérieur. Or comment prouver que le monde extérieur existe ? Comment montrer à quelqu’un que le soleil éclaire ?
Et pourtant le soleil manifeste les couleurs et, par là , indirectement, se manifeste. Et la famille, dont nous avons à parler, manifeste et se manifeste. On a beau contester, cela se manifeste. Et cela ne se manifeste pas que dans les rues, cela se manifeste en nous, dans nos culottes, si j’ose dire, qu’on le veuille ou non, cela se manifeste aussi bien à l’église que dans une soirée LGBT, cela se manifeste par la barbe d’un capucin aussi bien que par la poitrine d’une Femen. Pour que cela ne se manifeste plus, il faudrait être un ange.
Cette manifestation est si irrésistible que nous assistons depuis quelques décennies, de la part de ceux-là mêmes qui voulaient se débarrasser la famille, à un étrange retour du refoulé familial.
Ceux qui dénonçaient la famille comme l’institution répressive et oppressive de base, veulent à présent faire de l’enfant le produit d’une manipulation génétique (puisque l’égalité réclame que deux femmes ou deux hommes puissent également en avoir avec leurs propres gamètes), ce qui est aller bien au-delà de l’oppression ou de la répression, puisque c’est courir vers une fabrication pure et simple, et faire despotiquement de l’enfant, l’objet d’un planning, la réalisation d’un fantasme, et plus encore un cobaye de laboratoire.
Cette contradiction prouve qu’on ne peut déconstruire le naturel, mais seulement construire à côté son simulacre, comme on ne fabrique une intelligence artificielle que d’après le peu que l’on a compris de l’intelligence humaine.
Qu'est-ce donc qu'une famille ?
Les gens les mieux intentionnés à son égard insistent sur certains éléments de définition. J’en retiendrai trois.
• La famille est d’abord le lieu du premier amour.
Il est fondamental que les parents s’aiment et que l’enfant soit aimé, sans quoi la famille ne peut que se dessécher ou se décomposer.
• La famille est le lieu de la première éducation.
L’enfant y naît à partir d’un projet parental responsable, où l’on songe à son futur, à son édification, à sa qualification avec la plus grande compétence possible.
• La famille humaine est aussi un lieu de respect des libertés.
Les parents s’y sont unis par un contrat, et, à travers leur mission éducative, ils contribuent non à renforcer la dépendance, mais à promouvoir l’autonomie de l’enfant.
Nous insistons souvent sur ces caractéristiques, parce que nous songeons au bien de l’enfant. Mais ce faisant, nous manquons l’essence de la famille et, alors même que nous pensons la défendre, nous fourbissons les armes qui permettent de l’attaquer.
À trop se préoccuper du bien de l’enfant, on oublie l’être de l’enfant. À trop s’attarder sur les devoirs des parents, on oublie l’être du père et de la mère. Les éléments que nous venons de proposer, amour, éducation, liberté, disent tout sauf l’essentiel, à savoir que les parents sont les parents, et l’enfant est leur enfant.
Et voilà le conséquence fatale : en prétendant fonder la famille parfaite sur l’amour, l’éducation et la liberté, ce qu’on fonde, en vérité, ce n’est pas la perfection de la famille, mais l’excellence de l’orphelinat.
Cela ne fait aucun doute : dans un excellent orphelinat, on aime les enfants, on les éduque, on respecte leur personne. On y est même en quelque sorte dans la plénitude du projet parental, puisque prendre soin des enfants est le projet constitutif d’une telle entreprise.
Ne considérer la famille qu’à partir de l’amour, de l’éducation et de la liberté, la fonder sur le bien de l’enfant en tant qu’individu et non en tant qu’enfant, et sur les devoirs des parents en tant qu’éducateurs et non en tant que parents, c’est proposer une famille déjà défamilialisée. Car on pourra toujours vous dire qu’un père et une mère peuvent être moins aimants, moins compétents et moins respectueux que deux hommes ou deux femmes, et certainement moins efficaces que toute une organisation composée des meilleurs spécialistes. Cette organisation d’individus compétents pourra passer pour la meilleure des familles, et la meilleure des familles s’identifiera au meilleur des orphelinats. |